Retail : vers un commerce plus responsable, entre sobriété, circularité et nouveaux usages
Pression réglementaire, attentes croissantes des consommateurs, enjeux environnementaux et contraintes économiques : les retailers se retrouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. Du plan de sobriété énergétique aux dispositifs de seconde main, du retour de la consigne aux expérimentations « Oui Pub », le commerce se réinvente pour conjuguer performance et responsabilité.
Sobriété énergétique et anti-gaspillage : des réflexes durables
Depuis l’automne 2022, les grandes enseignes alimentaires appliquent un plan de sobriété énergétique inédit, symbole de leur mobilisation collective. Dans le sillage de la loi ELAN, qui impose -40 % de consommation énergétique d’ici 2030, elles multiplient les initiatives : fermeture des meubles frigorifiques, ajustement des éclairages, optimisation logistique…
La lutte contre le gaspillage alimentaire fait également partie de leur ADN. Dons d’invendus, paniers « zéro gaspi », promotions sur les dates courtes : les solutions se sont multipliées ces dernières années. Les partenariats avec Too Good To Go ont permis de sauver des millions de repas (4 M chez Casino, 5 M chez Carrefour), et même des millions d’œufs par an grâce à la vente en vrac à prix réduit. « Aujourd’hui, les consommateurs y voient une opportunité de faire des économies et de diversifier leur alimentation », confirme Bertrand Swiderski, directeur RSE de Carrefour.
Vrac et consigne : une offre en pleine mutation
La loi AGEC accélère la transition en interdisant progressivement certains emballages plastiques et en fixant des objectifs ambitieux pour la consigne (5 % de réemploi en 2023, 10 % en 2027). Déjà, 43 % des Français achètent des produits en vrac au moins une fois par mois (YouGov). Mais ces nouveaux usages imposent des contraintes fortes : gestion de l’hygiène, conservation limitée, réorganisation des approvisionnements.
Pour surmonter ces freins, enseignes et marques innovent. Carrefour a lancé en 2022 un système de vrac repensé conciliant visibilité et durabilité. Chez Monoprix, GLOBE GROUPE a orchestré le lancement de la bière pression Gallia avec des ambassadeurs en magasin, pour accompagner le consommateur dans ce nouveau rituel.
La consigne revient elle aussi sur le devant de la scène. Biocoop ambitionne 50 % de produits vendus sans emballage à usage unique d’ici 2025, tandis que de nombreuses enseignes testent de nouveaux modèles logistiques, malgré des coûts de transport élevés.
Seconde main : l’essor d’un nouveau modèle
Loin d’être un marché de niche, la seconde main s’impose comme un pilier du commerce responsable. Auchan a écoulé 530 000 pièces via Patatam (Rediv), Cyrillus encourage le recyclage ou la revente via Seconde histoire, et Kiabi multiplie les corners hybrides neuf/occasion en magasin comme en ligne.
« Pas question d’en faire une offre de seconde zone », insiste Estelle Urbain, leader commerce de demain chez Kiabi. L’enseigne veut équiper tous ses points de vente d’ici 2023 et fédère déjà une communauté de 200 000 membres. Avec un objectif de 3 M€ de chiffre d’affaires pour ses corners, Kiabi explore aussi la location de vêtements, testée avec succès sur la maternité.
Marketing durable : vers l’éco-conception des supports
Cette transformation concerne aussi le marketing et la communication en point de vente. « Certaines marques sont devenues très attentives au sourcing de leurs moyens de communication », observe Jeremy Dahan, Président de GLOBE GROUPE.
L’agence a développé ses Podiums GLOBE : des stands modulables et recustomisables grâce à des stickers aimantés, 90 % réutilisables. « Il y a cinq ans, chaque stand finissait à la benne. Aujourd’hui, seules les surfaces supérieures sont remplacées », détaille Dahan. Une solution durable et économique qui illustre la montée en puissance de l’éco-conception dans le retail marketing.
Prospectus et ticket de caisse : supports en question
Le prospectus papier est lui aussi au cœur des débats. Si plusieurs enseignes ont réduit leur distribution, la bascule vers le digital reste délicate. « Tous les tests sur l’arrêt du catalogue ont montré une baisse immédiate du chiffre d’affaires », rappelle Rodolphe Bonnasse, PDG d’Aristid.
Le dispositif Oui Pub, expérimenté depuis septembre 2022 dans 15 territoires pilotes, teste la distribution volontaire via autocollant sur les boîtes aux lettres. Mais son adoption reste incertaine : aux Pays-Bas, le taux varie de 15 % à Amsterdam à près de 50 % en zones rurales. « Tout se joue dans les premières semaines », estime Cécile Aligon-Dardé, DGA de Media Post.
Autre support en sursis : le ticket de caisse, voué à disparaître par défaut. S’il reste utile en hypermarché pour vérifier ses courses, il est moins demandé en supermarché pour des achats rapides. Les associations de consommateurs s’opposent toutefois à sa suppression totale. Une piste intermédiaire pourrait être de rationaliser la longueur du ticket, conciliant satisfaction client et geste écologique.
Un commerce en transition profonde
Sobriété énergétique, vrac, consigne, seconde main, supports publicitaires revisités : tous ces chantiers traduisent une transformation structurelle du commerce. Entre contraintes réglementaires, exigence des consommateurs et quête de rentabilité, les enseignes doivent innover pour inventer le retail responsable de demain.
Loin d’un simple ajustement, il s’agit d’une mutation culturelle qui touche à la fois les produits, les services, les modes de communication et les pratiques marketing. Une révolution silencieuse, mais déjà bien engagée.